Loi d'Orientation Agricole : Il faut enseigner la bio pour susciter les vocations

Tribune

La loi d’orientation pour la souveraineté agricole et le renouvellement des générations en agriculture, arrive à l’Assemblée Nationale.  

Elle se targue de vouloir former tous les futurs actifs aux transitions agroécologiques et climatiques. Et pour cela, elle dispose que l’enseignement agricole doit adapter ses formations aux besoins en emploi et en compétences pour les transitions.

Pourtant, pas un mot sur l’agriculture biologique.

Or, il faut bien former les agriculteurs et agricultrices de demain à l’agriculture biologique. De par ses bienfaits sur l’environnement et le bien-être animal, l’agriculture bio attire les salarié·es et nouveaux exploitant·es. L’enseignement agricole doit tenir compte de l’attractivité de ce modèle pour répondre aux motivations des agriculteur·ices de demain. 

 

En plus, on sait qu’il est urgent de trouver des solutions pour former les futurs agriculteurs et agricultrices, car près de la moitié des exploitant·es auront l’âge de partir en retraite d’ici 10 ans[1]. Aujourd’hui, la bio représente un quart à la moitié des projets d’installation[2] et 16% de l’emploi agricole[3]. Tous ces emplois servent directement la transition agroécologique : l’agriculture bio, qui interdit strictement l’utilisation de tout produit chimique de synthèse, étant aujourd’hui le modèle agro-environnemental le plus abouti et le plus contrôlé[4].

 

Aux besoins d’emplois actuels vont s’ajouter les besoins futurs de l’agriculture biologique : l’Etat a réaffirmé dans son Pacte d’orientation agricole son objectif de 18% des surfaces en bio[5] d’ici 2027, l’UE affiche elle un objectif de 25% en 2030[6].  

Si avec 10% des surfaces les secteurs de la bio cumulent déjà 200 000 emplois, il en faudrait au moins 160 000 de plus pour atteindre cet objectif. Sur la production agricole en particulier, les 60 000 fermes bio emploient en moyenne 30%[7] de main d’œuvre en plus que les fermes conventionnelles, amenant du dynamisme dans les zones rurales.

C’est un défi d’orienter et de former toutes ces nouvelles recrues dans le secteur biologique. Particulièrement pour permettre à celles et ceux qui le souhaitent de s’installer sur leur propre ferme et assurer le renouvellement des générations.

Et pourtant les pratiques et méthodes biologiques n’ont toujours pas leur place dans les enseignements.

Les programmes de l’enseignement agricole prévoient bien que l’agroécologie doit être intégrée dans tous les modules : la bio est possiblement partout et nulle part. Il n’y a pas de précision de durée, de définition précise de l’agroécologie ou des pratiques qui l’englobent, rendant la notion bien difficile d’appropriation pour les enseignant·es. Eux-mêmes expriment leur manque de ressources : 72% déclarent avoir besoin de plus de contenus techniques pour se sentir à même d’enseigner l’agriculture biologique[8].

Résultat, l’enseignement agricole ne répond pas aux attentes de son public : 72% des agriculteur·ices bio déclarent ne pas avoir suivi de formation en AB avant leur conversion ou leur installation.[9]

Certains établissements s’engagent par eux-mêmes dans des démarches : ainsi, il existe en France 99 formations à orientation bio[10].

C’est peu : moins de 5% des 2 773 formations11] production, transformation et commercialisation de l’enseignement agricole public. Plus de la moitié d’entre elles forment aux métiers de la production agricole, d’autres aux métiers du conseil et de l’accompagnement. Et leur répartition est très inégale : 23% de ces formations sont des brevets professionnels en formation continue[12], destinés aux adultes en reconversion. Les CAP ou les bacs pro à orientation bio, pour les élèves dès la 4ème, sont quasi inexistants.

En conséquence, parmi les nouveaux arrivants souhaitant s’installer sur leur ferme, beaucoup démarrent leur activité sans être correctement armés pour se lancer dans leurs itinéraires techniques, leurs récoltes, ou la conduite de leur troupeau. Mettant en danger la pérennité de leur installation.

Pour donner toutes ses chances à une installation en bio de se consolider, une formation de qualité, spécifique à l’agriculture biologique, d’une durée significative de plusieurs heures par semaine dans les cursus concernés paraît indispensable.

Or, pour y arriver, on connaît peu de méthodes plus efficaces que celles de la bio – qui, par définition, interdit l’utilisation de toute substance chimique de synthèse. Un cours obligatoire sur la bio ne serait donc pas seulement utile au quart des élèves qui veulent s’installer en bio, mais enseignerait à tous et toutes comment se passer des pesticides de synthèse pour produire.

En d’autres termes, des cours obligatoires sur la bio sont la seule manière de garantir la transition agroécologique de l’enseignement agricole, et d’atteindre les objectifs que l’Etat s’est fixé.

 

 

[1] Recensement général agricole, 2020 : https://vizagreste.agriculture.gouv.fr/age-et-devenir-des-exploitations-agricoles.html

[2] Baromètre sur le moral des agriculteurs et agricultrices bio, Agence Bio, 2023 (p. 27) : https://www.agencebio.org/wp-content/uploads/2023/09/Barometre-Moral-Agricultrices.teurs-bio_def.pdf

[3] Agence Bio, 2022 : https://www.agencebio.org/decouvrir-le-bio/le-bio-en-quelques-chiffres/

[4] France Stratégie, Les performances économiques et environnementales de l’agroécologie, 2020 : https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/fs-2020-na-94-agroecologie-aout.pdf

[5] Pacte d’orientation agricole, 2023 : https://agriculture.gouv.fr/marc-fesneau-presente-le-pacte-dorientation-pour-le-renouvellement-des-generations-en-agriculture

[6] Commission Européenne, 2021 : https://agriculture.ec.europa.eu/farming/organic-farming/organic-action-plan_en?prefLang=fr

[7] Agence Bio, Ibid. ; Actif’Agri : transformation des emplois et des activités en agriculture, CEP, 2019 : https://agreste.agriculture.gouv.fr/agreste-web/download/publication/publie/Ana145/CEP_Analyse_n145_ActifAgri.%20Transformations%20des%20emplois%20et%20des%20activitees%20en%20agriculture.pdf

[8] Enquête auprès des établissements de l’enseignement agricole pour mieux intégrer l’AB dans leur activité. Enquête FNAB, 2020, p. 18.

[9] Baromètre sur le moral des agriculteurs et agricultrices bio, Agence Bio, 2023 (p. 20). Ibid.

[10] Site du réseau Formabio (le réseau AB de l’enseignement agricole), cartographie des formations en bio : https://reseau-formabio.educagri.fr/?CarteFormationAB

[11] Educagri, cartographie des formations de l’enseignement agricole public (recherche par filtres en fonction des spécialités et des secteurs de formation) : https://educagri.fr/carte-des-etablissements

[12] Site du réseau Formabio, ibid.

Les signataires :

 

 

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